Dieu est un fumeur de havanes

31 mars 2020

— Orcus, laisse-moi te présenter… Dieu.

Euh… Houston, on a un problème. Cette caricature de gros rasta défoncé à la weed, en train de se gratter les profiteroles, avachi dans le canapé, ce serait… Dieu ?

Comme s’il lisait dans mon esprit (et je rappelle que Wilson lit réellement dans l’esprit de ses zombies), mon boss précise :

— Oui, je sais, ça peut surprendre au premier abord. Mais je te rappelle que ce que tu vois, Orcus, ce ne sont que des allégories. De la même façon que tu m’imagines sous les traits d’un personnage des comics que tu lisais enfant, tu te représentes Dieu, Yahvé, Allah ou que sais-je encore sous cette apparence d’épave défoncée au chanvre.

Ladite épave se redresse et nous interpelle, tout en se fourrageant sous les bras :

— Oh, les mecs, un peu de respect, je vous prie ! Je vous rappelle tout de même que j’ai créé le monde en sept jours, hein ! Si ça ne mérite pas une petite récompense, ça.

Il se penche, attrape le bong, allume un briquet et refait chauffer sa mixture en pompant le tube en verre avec la voracité d’une hardeuse bulgare.

Donc OK, Dieu est noir, et fume de la beuh à longueur de journée. Après tout, pourquoi pas ? Si mes souvenirs sont bons, les rastafaris vénèrent bien un Dieu venant d’Éthiopie, so

Non, en réalité, ce qui me surprend le plus, c’est de voir Dieu et le Diable dans la même pièce, en train de discuter comme deux vieux potes.

Là, désolé pour ceux qui ont déjà lu le tome 1, mais un petit rappel s’impose : depuis la création du monde…

Rasta Yahvé se lève alors et m’interrompt :

— Orcus, pendant que tu résumes tout le bazar, je file aux gogues couler un bronze. Mais vas-y, continue, ne t’arrête pas pour moi, man.

Nom de Lui ! Ce n’est pas seulement Wilson qui lit dans mes pensées, mais Dieu aussi ? J’adresse un regard furibard à mon boss, qui hausse les épaules en signe d’impuissance.

— Je n’y peux rien. Techniquement, je te rappelle qu’Il est né avant moi. C’est comme chez les jumeaux, il faut bien qu’il y ait un premier.

Ma foi, au point où on est, je n’en suis plus à une surprise près… Je reprends donc : depuis la création du monde le Bien et le Mal se disputent une gigantesque partie d’échecs, dont notre Terre serait le plateau. Pour faire simple, l’âme de chaque humain possède un certain potentiel de noirceur ou de vertu. Lorsque l’humain décède, son âme est alors disputée soit par Dieu, soit par le diable. En sachant qu’en fonction du degré de noirceur ou de sainteté du sujet, ce sont les âmes les plus marquées qui sont les plus recherchés par Pipo et Mollo ici présents.

Pour continuer avec l’analogie des échecs : choper tous les pions de son adversaire, c’est bien, mais à tout prendre, il vaut mieux récupérer la reine que le reste du plateau.
Vous me suivez ou vous avez déjà torché l’apéro ?

Ce que je veux vous faire comprendre, c’est que Wilson et Yahvé sont deux entités diamétralement opposées qui se disputent le monde selon un équilibre précaire. Donc, voir ces deux gus tailler le bout de gras autour d’un bédo, c’est aussi crédible que de tomber sur Hitler en train d’écluser un Ricard en terrasse avec le grand-rabbin d’Israël.

Un bruit de chasse d’eau retentit, puis God Marley refait son apparition en reboutonnant son falzar.

— C’est bon, Satan, tu lui as montré, au gamin ?

— J’étais sur le point, j’attendais juste qu’il ait fini sa petite introspection.

— Le gamin a terminé, réponds-je avec l’irritant sentiment d’être pris pour une marionnette par ces deux guignols. Vous m’expliquez enfin pourquoi on est là tous les trois, ou on attend Bouddha pour une belote ?

Pour toute réponse, Wilson se place au centre de la pièce. De ses doigts crochus il dessine un rectangle de feu dans l’air, comme lorsqu’il ouvre une des portes dimensionnelles. Sauf qu’une fois le rectangle matérialisé, il le divise en six rectangles plus petits, façon split screen.

— Impressionnant, murmuré-je, je ne savais pas que tu pouvais ouvrir autant de portails d’un coup.

— On ne dit pas des portaux ? demande Yahvé qui s’est rassis après avoir sorti une pipe à opium.

Wilson l’ignore et m’explique, en désignant les six rectangles :

— Ce ne sont pas des portails à proprement parler. Disons que ce sont comme des fenêtres ouvertes sur six endroits du monde, en simultané et en temps réel. Il y a New York, Paris, Tokyo, Johannesburg, Sydney et Moscou. Vas-y, approche et regarde ce qui se passe en ce moment.

Intrigué, je le rejoins et contemple le mur d’images. Je prends le temps de bien observer à travers chacune des fenêtres, puis je me retourne vers les deux compères qui attendent mon verdict.

— C’est quoi, ce bordel ?

 

 

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