Zum Teufel!

9 avril 2020

J’agrippe la poignée et tire de toutes mes forces pour ouvrir la porte métallique qui pèse encore plus lourd qu’Yves Calvi un jour où il ne s’est pas servi de son caca pour écrire un édito.

Aussitôt, nous sommes assaillis par une odeur fétide, âcre et chaude.

Ne vous imaginez pas que je vais vous ressortir le coup du charnier. Je m’en suis déjà servi la semaine dernière, et c’est pas le genre de la maison Morrigan d’utiliser toujours les mêmes ficelles.

De plus, je vous rappelle que pour nous, zombies, l’odeur de cadavre est la plus agréable du monde. Une fragrance de charogne dans un fossé en plein été, c’est du Charnel n° 5. Ça nous porte aux sens et nous turgescionne, pareil que l’odeur des frites chez l’auteur de ces lignes.

Non, quand je vous dis que le fumet qui s’échappe de la trappe nous prend à la gorge, c’est que ça pue vraiment. Ça sent la ménagerie, le fauve, la merde, le slip d’adolescent, l’EHPAD en fin de semaine, Valeurs Actuelles, la grève des éboueurs à Marseille, bref, l’obscur goulet refoule du goulot, que c’en est une bénédiction.

— On y va quand même ? demande Tokū qui a réussi l’exploit de pâlir un peu plus.

— C’te question. Comme si on avait le choix.

Rivés au mur, des barreaux nous invitent à pénétrer dans un conduit sombre et étroite comme… non, j’arrête avec mes comparaisons graveleuses, ça va finir par lasser. Donc je commence à descendre les échelons, suivi par Tokū.

Nous nous enfonçons sur plusieurs mètres, puis le conduit se transforme en couloir.

À mesure que nous progressons (je vous rappelle à toutes fins utiles que les zombies voyant dans le noir, je vais vous épargner la lueur crue ou blafarde des néons que je lis chez tous les collègues plumitifs en mal d’imagination), les odeurs se font plus fortes, mais nous percevons également une cacophonie de cris étranges.

Nous nous arrêtons, l’oreille aux aguets.

— C’est bien ce que je pense ? chuchote Tokū.

— J’en ai l’impression. On dirait des cris d’animaux. Ce qui expliquerait cette odeur de cirque en fin de tournée.

Oui, mais de quels animaux parle-t-on ? Parce que ce que nous entendons, ce ne sont pas des aboiements, des miaulements, des meuglements, des barrissements ou des barriwhites, facilement identifiables. Non, là, c’est un mélange de cris aigus, stridents, mais aussi de sifflements ou de sons nasillards.

Bon, pas la peine de tortiller davantage du dargeot, avançons pour en avoir le cœur net.

Plus que quelques mètres, et Tokū et moi débouchons dans une pièce immense.

— La vache ! s’exclame mon camarade.

— De la vache, je ne sais, mais pour sûr, y a du bestiau.

Imaginez-vous une pièce grande comme un hangar, sans fenêtres (et tu peux me dire pourquoi il y aurait des fenêtres, ducon, vu qu’on est vingt mètres sous terre ?), avec des appliques qui diffusent une faible lueur bleutée. Tout l’espace est occupé par des alignements de dizaines de cages, de volières et d’aquariums.

Dans les cages, tu l’auras deviné, des pangolins à ne plus savoir où donner de l’écaille. Moi qui, il y a quelques heures encore, n’avais jamais entendu parler de ce mammifère à la gomme, je suis servi.

Mais il n’y a pas que des pangolins, dans cette ménagerie du diable. Dans les volières des centaines de chauves-souris s’agitent et volettent de façon désordonnée en se cognant aux barreaux. Quant aux aquariums, ils débordent de serpents de toutes les tailles.

— Dans ce cas, ce ne sont pas des aquariums, Orcus, mais des terrariums.

Je me tourne vers Tokū.

— Tu m’as dit quelque chose ?

— Oui. Un peu plus haut, tu viens d’écrire qu’il y avait des serpents dans les aquariums. Mais les aquariums, c’est pour les poissons. Pour les serpents, on parle de terrariums.

— Et tu ne pouvais pas me le dire plus tôt, Einstein ? Que j’ai l’air d’un analphabète, maintenant.

Il hausse les épaules.

— Désolé, mec.

Donc, je reprends : il n’y a pas que des pangolins, dans cette ménagerie du diable. Dans les volières des centaines de chauves-souris s’agitent et volettent de façon désordonnée en se cognant aux barreaux. Quant aux terrariums, ils débordent de serpents de toutes les tailles.

Je regarde Tokū, qui brandit le pouce, et je poursuis :

Nous comprenons mieux maintenant les odeurs et ce vacarme assourdissant. Parce que ces milliers de bêtes produisent un boucan inimaginable : les serpents qui sifflent, les chauves-souris qui grincent (oui, c’est comme ça, j’ai vérifié, la chauve-souris grince. Comme bobonne quand tu oublies de lui faire la vidange tous les premiers samedis du mois), et les pangolins qui…

Merde, c’est quoi, le cri du pangolin ?

— Tokū, chuchoté-je, comment on appelle le cri du pangolin ?

— Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Je sais juste qu’ils piquent.

— Ah bon, ça pique, un pangolin ?

— Ben oui, les pangolins piquent ! Kr kr kr !

— T’es vraiment trop con, Tokū ! Non mais sérieusement, ça fait quoi ?

— T’as pas la 4G sur ton deadphone ?

— Nan, je capte rien à vingt mètres de profondeur.

— Ben invente, tu crois vraiment que les lecteurs iront vérifier ?

— OK…

Donc les serpents sifflent, les chauves-souris grincent et les pangolins covident, que ça fait du barouf, tout ça, vous m’avez compris, merde, je ne vais quand même pas y consacrer toute ma livraison du jour.

Alors je ne suis certes pas zoologue, mais j’ai de la mémoire. Et je me rappelle très bien ce que Wilson m’a expliqué avant de m’envoyer en mission : le virus peut être transmis par les pangolins, les chauves-souris ou les serpents !

Vous avez pigé comme moi : ce laboratoire est une putain de bombe atomique ! Si, comme je le suppose, chacune de ces bestioles est porteuse du virus, il y a de quoi éradiquer des dizaines de fois l’ensemble de la population.

J’expose mes hypothèses à Tokū, qui propose une solution radicale, mais ma foi assez efficace :

— Ben on n’a qu’à foutre le feu à tout ce bazar. Méchoui de pangolin pour tout le monde, et hop, servez chaud, mission terminée, et on rentre chez nous.

— C’est vrai que c’est tentant, mais ça ne résoudra pas le problème.

— Ah bon ? Genre tu massacres tous les animaux malades du Covid, mais ça ne résout pas le problème ?

Du bras, je balaie l’espace confiné et les alignements de cages.

— Tu réfléchis un peu, Tokū ? Le pangolin n’a pas chopé le Covid naturellement. Qui a mis ces bestioles dans des cages ? Qui leur a inoculé le virus ? Qui a planifié ce génocide ?

— Ah merde, j’y avais pas pensé…

— Ben oui, crâne d’œuf. Tu peux toujours éradiquer ces bestioles, mais si tu n’élimines pas l’instigateur du plan, qu’est-ce qui l’empêchera de recommencer ?

— Donc on n’est pas plus avancés, conclut Tokū. Mais comment savoir quel génie du crime se cache derrière tout ceci ?

Je hausse les épaules.

— On peut toujours attendre ici qu’il se pointe.

— Ou alors, propose mon pote, on peut aussi essayer de trouver des renseignements sur ce bureau…

Couillon que je suis, je n’avais pas vu, à l’autre bout de la salle, un bureau surmonté de classeurs et d’un ordinateur.

En bon Japonais qui se respecte, Tokū est déjà pied d’œuvre et en moins de temps qu’il n’en faut à un ministre pour oublier sa conscience et sa probité, il a allumé le PC et craqué le mot de passe.

— Alors, m’impatienté-je, tu trouves quelque chose ?

— Minute, papillon, la plupart des documents sont dans une langue que je ne connais pas… Attends, je vais aller dans les paramètres pour trouver la signature de… Oh putain ! Dis-moi pas que c’est pas vrai ! Tu ne devineras jamais à qui appartient ce laboratoire !

Là, j’ai trop envie de l’étrangler, pour faire ainsi monter le suspense avec ses grosses tongs. Mais comme je sais que ça fait partie des impératifs du genre feuilletonnesque de préparer le cliffhanger, j’accepte de rentrer dans son jeu.

— Oh, mais de qui donc t’est-ce peut-il bien s’agir ? Je t’en conjure, mon ami, dis-moi vite. Et terminons sur un coup de théâtre aussi inattendu que subit, Tokū.

Mais ce n’est pas Tokū qui me coupe le sifflet, plutôt la voix qui retentit derrière nous et nous fait sursauter.

Ach ! Che peux fous aider, meine Herren ?