Saloperies de moustiques !

22 avril 2020

— OK, chuchoté-je. Il y en a huit, rien que devant l’entrée. Et on ne sait pas combien à l’intérieur. Alors voilà ce que je propose, je…

— Geronimoooooooooooooooooooooooooo !

— Tokū, merde, mais qu’est-ce que tu fous ?

Même pas le temps de finir ma phrase, Tokū charge comme un hussard, bille en tête.

Au temps pour la finesse, la stratégie, l’art de la guerre, et Sun Tzu en slip ! Tokū donne l’assaut, écume aux lèvres et sabre au clair. Enfin, quand je parle de sabre, c’est une métaphore. De son sac à malice, il a sorti une tronçonneuse qui a remplacé la tête de marteau-piqueur au bout de sa prothèse.

Plagiant sans complexe le personnage de Ash joué par Bruce Campbell, il se précipite vers les golgoths qui gardent l’entrée de l’entrepôt.

J’hésite entre consternation et l’envie de me taper une de ces barres. Non mais vous l’avez vu courir, l’apôtre ? Entre sa patte d’autruche, plus grande que sa patte de zèbre, il avance de guingois, en se déhanchant comme un pantin mal articulé.

Et pourtant, il se meut, et arrive à hauteur des zombies guetteurs (note pour le futur correcteur : je rappelle que dans la mythologie, Cerbère empêche les âmes de sortir des enfers, pas d’y entrer, merci de ne pas employer cette image. Bisous) qui le voient arriver avec stupéfaction. En même temps, mettez-vous à leur place : une tête de Japonais, un bras de singe, une patte de piaf, une autre de zèbre, et une tronçonneuse pétaradante à la place de la paluche, il y a de quoi se poignarder l’oignon avec une saucisse, non ?

Ce moment de surprise est fatal au premier garde. Malgré la colère qui l’aveugle, Tokū n’a pas oublié quels étaient les points stratégiques pour neutraliser un des nôtres : d’abord les jambes, puis les bras, et, s’il vous reste un peu de temps pour fignoler le travail, la tête.

Vrouuuuuuuum ! Schlac ! Brrrrrrrrr ! Trois coups de tronçonneuse et le premier golgoth est HS : plus de jambes et la tête fendue en deux dans la longueur.

Au suivant de ces messieurs !

Les sept salopards reprennent leurs esprits et se jettent sur Tokū, qui n’attendait que ça. Ça tronçonne, ça démembre, ça éviscère, ça étripe, ça trépane, ça gicle de tous les côtés, c’est gluant, ça tirebouchonne de l’intestin grêle, ça esquille, bref, c’est le Tokū Show !

Pour autant, malgré son armurerie et la rage qui le transcende, je pense qu’il ne serait pas contre un petit coup de main. Surtout métallique.

Avant de quitter le marché, j’ai demandé au GC quelques joujoux pour voyager léger. C’est donc muni d’une machette modèle communiante et d’une hache à double tranchant (oui, je sais, j’aurais pu parler de labrys, histoire d’être précis dans mes termes, mais on va encore me taxer de pédanterie. Et puis c’est bien connu, labrys ne fait pas le moine) que j’entre dans la danse macabre.

Ah nom de Dieu, que ça fait du bien de se défouler ! C’est que je commençais à me rouiller, avec mes prétentions littéraires à deux balles. Là au moins, je hache, je tranche, je ventile, disperse et sème à tout vent, dans une catharsis, mon vieux, qui me colle une demi-molle, je te raconte pas.

Comme il fallait le craindre, notre baston en Mondovision a alerté les collègues des huit bourrins, et il en sort de nouveaux de l’entrepôt, que j’ai l’impression que ça ne s’arrêtera jamais ! La porte s’ouvre et ça sort en jet continu, qu’on se croirait dans tes chiottes un lendemain de réveillon.

Mais tu crois que ça nous ferait peur ? Que ça calmerait nos ardeurs sanguinaires ? Fume, c’est du nippon ! La chaîne de tronçonneuse de Tokū rougit, tant sous le sang et les humeurs que sous l’échauffement, mais elle continue à creuser ses sillons vaille que vaille. Son bras d’orang-outang n’est pas en reste, qui lui permet d’attraper les crânes qui passent à sa portée et de les éclater comme des pastèques.

Et ses pattes, dis, tu les as vues, ses pattes ? Ce ne sont pas des Panzani, je te prie de le croire. Son sabot de zèbre explose implacablement ce qui a le malheur de traîner par terre (et comme je trouve ça beau), quant à sa patte d’autruche, j’ignorais qu’elle fût aussi ravageuse, avec son ergot gros comme mon chibre et…

Ah, excusez-moi, on me parle dans l’oreillette… Oui… Oui… Bon, d’accord.

Alors, en ces temps de confinement et d’école à la maison, on demande aux auteurs d’essayer de faire preuve de pédagogie dans leurs publications. Très bien. Le saviez-vous ? Ce sont les moustiques qui, chaque année, sont les animaux les plus mortels pour l’homme, avec un nombre de décès se situant aux alentours de 800 000. Suivent les serpents, puis les chiens. Très amusant, le lion, qui est un gros branleur, ne tue qu’une centaine d’hommes par an, loin derrière le crocodile (1000), l’éléphant (600) et l’hippopotame (500).

L’autruche, en revanche, n’est responsable que de deux morts par an en moyenne, avec son putain d’ergot de bâtard.

Voilà, fin de la parenthèse pédagogique. Demain, nous verrons comment appréhender le calcul d’horloges et de causalité qui permet de dégager une notion d’interface temporelle utile pour la compilation modulaire.

Mais en attendant, un peu de tripes fraîches !

Ah ben non, Tokū et moi en avons apparemment fini avec les golgoths. Nous sommes recouverts de sang, de bile, de liquides incertains et visqueux, de glaires, de bouillie d’organes et de squames, mais nous sommes venus, avons vu et vaincu.

Charogne, ce tas de macchabées en décomposition que nous laissons derrière nous ! À nous deux, on a tapé un high score qui ferait passer les Einsatzgruppen pour des boy scouts !

Satisfaits du travail accompli, nous nous approchons de la porte de l’entrepôt… sans ouverture. Il y a bien un boîtier sur le côté, mais de poignée ou de clenche, point.

Comme je m’apprête à demander à Tokū de remplacer sa tronçonneuse par son marteau-piqueur pour défoncer cette lourde de merde, nous sommes alertés par un « bip », suivi du mécanisme d’ouverture de la porte.

Encore des golgoths, sérieux ? Mais ils font un élevage, ou quoi. Nous n’avons que le temps de nous coller de part et d’autre de la porte pour en voir sortir… Tête de Rat !

Le petit zombie porte un paquet sous le bras et passe devant nous sans nous capter, tout ronchon. On l’entend d’ailleurs grommeler :

— Et voilà, quand il y a encore oune corvée à sé taper, c’est pour qui ? C’est pour Francisco ! Que c’est touyours la même chose : Francisco, fais ceci, Francisco, fais cela, Francisco, vient ranyer. Non, Francisco, tou né peux pas assister à la réunion, qué tou es trop gentil… Mais Francisco, il en a ras la calebasse ! Et Francisco, il peut être muy muy méchant si il veut ! Parce que… Oh, Madre de Dios!

Garcimore vient de tomber sur le tas de golgoths démembrés. C’est le moment ou jamais ! On se précipite sur lui et d’une balayette, je le mets à terre, pendant que Tokū le déleste de son paquet.

Je m’assois sur sa cage thoracique et le contemple. Ce que ça peut m’énerver, bon sang, de ne pas me rappeler où j’ai déjà vu ce gonze, avec sa moustache d’hidalgo (salut Michel, qui vient de nous rejoindre), et son costume de militaire d’opérette.

Bon, ça me reviendra plus tard.

Tokū achève d’ouvrir le paquet et s’exclame :

— Shogi !

— Euh… on ne dit pas « bingo », d’habitude ?

— Je ne sais pas, mais au Japon, le jeu traditionnel, c’est le shogi. Alors shogi !

— C’est le pangolin ?

Yes sir.

Bieeeen ! On avance, là, c’est nickel ! Pas besoin d’aller faire le pied de grue devant les KFC de Wuhan, on a massacré les golgoths, on a récupéré le pangolin avarié, c’est tout bon, ça ! Plus qu’à démanteler le GODE et on pourra prendre des jours de RTT.

— Vous êtes combien, là-dedans ? demandé-je à Tête de Rat.

— Yamé yé né parlerai, ploutôt mourir !

— Ben techniquement, c’est déjà fait, tête de gland. Mais bon, s’il n’y a que ça pour te faire plaisir…

J’attrape mon labrys (faudra d’ailleurs que je voie s’il a été fabriqué dans un port, auquel cas ce serait un labrys côtier) et snikt !, schlac !, schlouc ! et tchac !, un émincé de Francisco que je commence à balancer négligemment sur le tas de golgoths.

— Attends, m’intime Tokū qui a regagné la porte. Garde la tête !

Je le rejoins, tenant la calbombe de Francisco par les cheveux.

— Laisse-moi deviner, dis-je en m’approchant du boîtier. Scan rétinien ?

— Si fait, monseigneur.

— Bon.

J’enfonce l’index et le majeur dans une orbite de Tête de Rat.

— Hi hi, rigole ce dernier, ça chatouille !

Pop ! Je retire le globe de sa cavité, sectionne les derniers filaments d’un coup de dents et je passe la bille sanguinolente sous le scanner.

Bruit de gâche métallique.

Je lance la tête de Francisco dans un fossé, puis nous poussons la porte et entrons.