Carnet de bord d'un correcteur

Vous méritez une bonne correction !

Maxime Gillio Correcteur

Sous l’aile du concombre

« La maison de madame Corday est meublée avec goût, celle de monsieur Corday avec des meubles. »
J’ai mis du temps avant de me plonger dans la prose délicieuse d’Henri Girard . Non que la perspective me rebutât, bien au contraire. Je savais que j’allais découvrir un grand cru, il fallait juste que mon organisme se désintoxiquât au préalable d’un excès de prose insipide, voire indigeste.
Et grand bien m’en fit.
Sous l’aile du concombre (L’Atelier Mosésu) est un roman magnifique et nécessaire. Je ne le “pitcherai” pas (comme disent les nœuds volants de la critique), c’est inutile. La quatrième de couverture fera très bien l’affaire, et si vous voulez connaître les tribulations et monologues intérieurs d’Hubert, célibataire invétéré cynique, j’espère bien que l’argument qui va suivre suffira à vous convaincre.
Je ne connais pas les goûts littéraires d’Henri, mais je mettrais mes génitoires à couper que dans son paradis des auteurs perdus trônent des figures comme René Fallet, Marcel Aymé, Gabriel Chevallier, voire Frédéric Dard.
Oui, le style d’Henri Girard s’inscrit dans cette tradition des auteurs élégants, raffinés et désinvoltes, ciselant leurs effets et leurs bons mots comme autant d’artisans consciencieux, amoureux de l’objet qu’ils prennent le temps de polir.
Sous l’aile du concombre est un roman magnifique, aux envolées somptueuses, à l’écriture raffinée et aux introspections qui vous empoignent le duodénum. Pas de “twists”, de “cliffhangers” ou autres procédés visant trop souvent l’efficience avant la beauté du verbe.
C’est un roman qui prend le temps. Qui le met en scène, allers-retours doux-amers entre l’enfance perdue et le présent déjà trop avancé. C’est un roman à l’écriture délicieusement surannée, qui revendique sa touche de préciosité, qui affirme son élégance.
Au risque de paraître incongru avec cet oxymore hardi : Sous l’aile du concombre est un roman littéraire.
Ne rigolez pas, il y en a de moins en moins.

La brigade chimérique

Du haut de mes quarante années de lecture et des quelques milliers de BD qui ornent mes étagères, je viens de lire l’ouvrage le plus érudit, le plus fin, le plus exigeant et en même temps tellement accessible depuis… je ne saurais dire. Une épopée graphique feuilletonesque et onirique convoquant tout l’imaginaire des littératures populaires européennes de l’entre-deux-guerres, avec une inspiration esthétique magnifiquement inspirée de l’Art nouveau. Il s’agit d’un réel choc ; il s’agit de mon coup de cœur « BD » pour au moins un lustre ; il s’agit de La Brigade chimérique (Éditions L’Atalante). Au graphisme, Gess, au texte et au scénario, Serge Lehman et Fabrice Colin.

La Nuit des Cannibales

La Nuit des Cannibales de l’excellent Gabriel Katz (Pygmalion) est mon kif du mois !
Maxime de Retz, homme d’affaires de quarante-trois ans, se réveille un matin dans le corps d’un ado de quinze ans, au sein d’une famille inconnue. Passé le premier moment de stupeur et les quiproquos qui vont avec, il s’aperçoit qu’il n’est pas le seul dans son entourage à s’être réincarné dans un corps étranger. Tout en cherchant à comprendre ce qu’il s’est passé, il doit composer avec sa nouvelle vie de lycéen, et comme si ça ne suffisait pas, s’aperçoit qu’une meute de chasseurs surentraînés cherche à l’éliminer.
Le scénario est super malin, c’est un page turner comme je les aime, aucun temps mort, et Gabriel alterne à merveille les moments de tension et de suspense avec un comique de situation qui fait mouche à chaque malentendu, sans compter les répliques qui tuent. Alterner ainsi scènes d’action survitaminées et quiproquos comiques sur le choc des générations sans fausse note, c’est vraiment de la belle ouvrage. Un peu comme si James Cameron avait signé chez AB Productions pour un mélange détonnant. Gabriel Katz n’a pas écrit Jason Bourne et les garçons, mais je lui cède volontiers le titre pour une suite vivement souhaitée.

Zanzara

Ne tournons pas autour du pot (belge). Au petit jeu des comparaisons, et si on admet qu’Un long moment de silence sera toujours à part dans sa bibliographie, Zanzara est le meilleur roman de Paul Colize (Fleuve Editions).
Pitchons : Fred, journaliste 2.0, vit à 200 à l’heure, brûlant sa vie par les deux bouts, reporter le jour, ange autodestructeur la nuit, amoureux atypique de Camille quand le mari de cette dernière leur laisse le temps de se retrouver.
Suite à un appel anonyme qui le conduit sur la piste d’un étrange suicidé, Fred se retrouve embarqué dans une sordide histoire de barbouzes sur fond de conflit russo-ukrainien.
Je ne fais pas d’efforts pour vous vendre l’intrigue ? Oui, et c’est voulu. Parce qu’aussi documentée et construite soit-elle, elle passe selon moi au second plan.
Ceux qui lisent Paul depuis ses débuts connaissent sa marque de fabrique : intrigues croisées, alternance de points de vue narratifs, d’époques, phrases au scalpel d’une efficacité drastique, justesse du ton.
Dans Zanzara, jamais Paul n’a semblé autant maîtriser ses points forts. Je pensais qu’il ne pourrait aller plus loin dans l’économie d’effets et la justesse des mots ; erreur. Ici, il a raclé ses phrases jusqu’à l’os, sans que jamais celui-ci ne soit entamé, à frôler l’ascèse au profit d’une efficacité narrative redoutable.
Débarrassées des fioritures stylistiques, ses scènes – comme autant de séquences filmées – sont d’un timing parfait. La caméra s’arrête de tourner à la seconde juste, évitant le plan en trop, la longueur qui viendrait gâcher l’harmonie.
Mais ce tour de force scriptural ne servirait à rien s’il n’était au service d’une ambition plus évidente.
Une telle épure permet en effet à Paul Colize de faire ressortir ce qui constitue à mes yeux la force principale de son roman : l’émotion, l’amour, les sentiments entre les personnages.
Les réponses aux inévitables questions que se doit de poser un roman noir, vous les aurez, que les amateurs d’intrigues se rassurent. Mais, j’ose l’avouer, j’ai lu ce roman avant tout pour son histoire d’amour, la relation entre Camille et Fred, et la peinture, en petites touches subtiles, de ce caractère si réussi, son plus abouti à ce jour.
J’entends déjà quelques avis tatillons qui souligneraient qu’à ce point si maîtrisé de sa technique d’écriture, Paul Colize ferait du Paul Colize. Non, Paul ne FAIT pas du Colize, il EST Paul Colize, un auteur qui a su créer sa musique, ses notes, sa partition, faire émerger et imposer sa voix. L’une des rares, en ces temps où je m’impose tant et tant de lectures variées et avariées, à me faire m’interroger sur ma propre pratique de l’écriture.
Pour paraphraser un de nos maîtres communs, je ne sais pas si Paul Colize saurait écrire comme Paul Claudel. Mais je suis certain que Claudel ne saurait pas écrire comme Colize.
Fermez le ban.

Les anges voient rouge

Ce n’est un secret pour personne, je suis désormais le correcteur attitré de Sa Majesté Jomain. Ayant donc lu son précieux depuis un bail, je ne vous ferai aucun spoil (au nez), si ce n’est que les lectrices de la première heure ont intérêt à prévoir la cargaison de Kleenex, parce que la môme Felicity va passer par toutes les émotions, et qu’elle ne laissera pas une seule fan indemne.
Mais ce n’est pas pour ce tome-ci que je suis fier de Sophie. Je le suis pour l’ensemble de sa série, et pour deux raisons en particulier :
– Ayant lu tous les tomes, j’ai vu, reconnu et apprécié l’évolution de son style, l’affirmation de sa plume, l’émergence de sa voix. Elle a gagné en maturité, en certitudes, en professionnalisme, grâce entre autres à sa qualité d’écoute et à son humilité face aux conseils et autres lectures auxquelles elle s’est confrontée. Un écrivain qui ne doute jamais, ne se remet jamais en question, ne cherche jamais à s’améliorer ne devrait pas être qualifié comme tel. Ne serait-ce que pour ce motif, Sophie est une écrivaine.
– L’autre raison, c’est que dans ses quelque six tomes et demi, elle a su créer un univers familier, des personnages, une tribu, des lieux, une atmosphère et un ton tout de suite identifiables. Oui, Felicity, Stan, Terrence, Phil, Daphnée et tous les autres, anges, démons ou mortels, vont vous manquer, parce qu’ils tirent leur révérence, et laissent derrière eux un monde complet, construit de toute part et cohérent. Et le pire, c’est que Sophie l’a fait à contre-courant des conseils éditoriaux qui dé-con-seillent impérativement les séries en plus de deux tomes (les diptyques, quoi…). Sophie n’a pas écouté cette recommandation, et a tissé son monde imaginaire, en ayant foi en ses personnages. Son talent pour retranscrire les relations et les sentiments a fait le reste. Heureusement qu’elle n’a pas écouté les conseils des éditeurs. Un écrivain qui doute trop, se remet trop en question, qui n’a pas un minimum de certitudes ne devrait pas être qualifié comme tel.
Vous le découvrirez à la fin de ce tome, mais c’est un soulagement pour Sophie d’avoir fini sa série. Il était visiblement temps que ça se termine, et elle a douté jusqu’au bout, avec l’humilité qu’on lui connaît. Alors vous regretterez sans doute ses personnages, l’espièglerie de Felicity va vous manquer, mais sachez que moi aussi, je suis content qu’elle ait fini cette série.
Non pas parce que je ne supportais plus le thé de Felicity, ses sandwichs végétariens à la con et le fait que depuis quelques tomes, elle ne secouait plus la tête de gauche à droite (private joke !).
Mais parce que je sais que le meilleur est à venir, et que je suis impatient, car JE SAIS que Sophie va vous surprendre et vous en mettre plein les mirettes.
Normal, ce petit bout de femme est un grand auteur. Et j’en suis fier.

Le Roi des Fauves

J’ai eu la chance de corriger ce premier roman, aux éditions Scrineo. Séduit par l’écriture et l’univers de l’auteur, mon intuition ne m’a pas trompé, puisque quelques semaines plus tard, Le Roi des fauves recevait le prix 2015 des Halliennales.

Le pitch : Accusés de meurtre, Ivar, Kaya et Oswald sont injustement condamnés à un sort pire que la mort. Enfermés dans un royaume en ruines, coupés du monde, il leur reste sept jours d’humanité. Sept jours pendant lesquels le parasite qu’on leur a inoculé va grandir en eux, déformant leur corps et leur esprit pour les changer en monstres, en berserkirs, ces hommes-bêtes enragés destinés seulement à tuer ou être tués. Commence alors une course contre le temps, effrénée, angoissante, où les amis d’hier devront rester forts et soudés, pour lutter contre les autres… et surtout contre la bête qui grandit en eux. Existe-t-il une issue ? Existe-t-il un salut quand son pire ennemi n’est autre que soi-même ?

22/11/63

Bon, OK, ce n’est pas moi qui l’ai corrigé, celui-là… Et ce n’est pas la plus fraîche des nouveautés, j’en conviens. Mais si j’en parle ici, c’est parce qu’au-delà de l’intrigue que vous découvrirez dans le pitch, Stephen King a écrit, avec ce texte, la plus belle histoire d’amour qu’il m’ait été donné de lire depuis Albert Cohen. Rien que ça…

Le pitch : Imaginez que vous puissiez remonter le temps, changer le cours de l’Histoire. Le 22 novembre 1963, le président Kennedy était assassiné à Dallas. À moins que… Jake Epping, professeur d’anglais à Lisbon Falls, n’a pu refuser la requête d’un ami mourant : empêcher l’assassinat de Kennedy. Une fissure dans le temps va l’entraîner dans un fascinant voyage dans le passé, en 1958, l’époque d’Elvis et de JFK, des Plymouth Fury et des Everly Brothers, d’un dégénéré solitaire nommé Lee Harvey Oswald et d’une jolie bibliothécaire qui deviendra le grand amour de Jake.